HYDROPONIE
NATURE VIVANTE
La machine mime l'organique
D’où viennent les objets d’Emmanuel Lesgourgues ? Ils semblent naître d’images primitives. Leurs plans ressemblent à ces motifs décoratifs dont la répétition rappelle toutes sortes de structures (à caissons, alvéolaire, cellulaire...). Ils semblent liés à l’observation de l’intérieur, aux images de l’intérieur, cellules, virus, noyau, hélice d’ADN. J’ai envie de dire que Emmanuel Lesgourgues vient de loin, pour marier comme il le fait l’art et la science. Au début il y avait le verbe, et bien non, chez lui au début il y a le dessin, tout est dans l’image, le dessin comme dessein. Le dessin de l’objet encore déplié, telle une fleur ouverte, est déjà une œuvre en soi. Le dessin est précis et pourtant l’objet est soumis à l’aléatoire car la matière du caoutchouc se défend. Dans le pliage, le rabattage du dessin, elle résiste, tente de se déplier, se tord, prend une posture dans l’espace comme un corps contrarié. Grâce à un système d’emboîtements, les côtés s’accrochent, enferment du vide, de l’air dans une poche. La machine mime l’organique, l’informe habité par une intelligence. Les volumes ne résistent jamais à la pliure de la même manière même si leur dessin est le même, Lesgourgues donne à voir l’unicité du développement organique.
Il y a une formidable cohérence dans tout cela, jusque dans l’outil de découpage : l’eau, plus dure que l’acier. En contrariant sa nature et sa force, l’eau découpe la matière. Contrariez la précision du dessin et la chair apparaît, tendue par les muscles. De l’image au corps qui naît, il y a un état instable, provisoire comme celui de la chrysalide. Lesgourgues réussit à introduire dans le design la sensation d’état intermédiaire. Ses objets sont à l’œuvre, habités par la sensation de l’instant. La baleine blanche tu l’as bien vue ? Lesgourgues introduit dans le design le meilleur de l’art, l’incertitude du dessin, mais en bon designer il maîtrise la technique, il peut planifier l’incertitude, la reproduire.
Joël Brisse